Fading Fables (Zar-Afshun) | Naghmeh Sharifi

Participant·e·s

Résidence du 23 août au 18 octobre 2022
Chez Ada X

Le projet de résidence de Naghmeh Sharifi, Fading Fables (Zar-Afshun), est une installation audiovisuelle inspirée d’un vieux conte iranien raconté à Sharifi par sa grand-mère durant les nuits de la guerre Iran-Iraq. Cette tradition orale est l’un des seuls moyens de transmettre les vieux contes et fables d’une génération à l’autre. La grand-mère de Sharifi, comme beaucoup de femmes de sa génération, a vécu dans une société dominée par les hommes. Bien que privée de nombreux droits, elle a joué un rôle clé dans la préservation de ces histoires et leur survie. Fading Fables réunira la narration de la grand-mère de Sharifi et les illustrations animées de l’artiste. Avec ce projet, Sharifi met en lumière le rôle que les femmes ont joué dans la préservation des traditions oraux, et exerce son propre pouvoir en créant la représentation dont elle, et d’autres jeunes filles, ont manqué en Iran post-révolutionnaire.

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Sineh-be-sineh

Texte par Prachi Khandekar

« La nostalgie est une trappe vers les archives du corps. Par elle, nous accédons à des moments révolus, attachés par la mémoire.

Fading Fables (𝙕𝙖𝙧-𝘼𝙛𝙨𝙝𝙪𝙣) explore une nostalgie qui n’a pas d’ancrage dans le passé, une nostalgie qui persiste malgré l’absence de représentation. Pendant son enfance, l’artiste canado-iranienne Naghmeh Sharifi ne se reconnaissait pas dans les livres ou à l’écran. Après la révolution islamique, l’effacement ou la transformation des figures de femmes dans les médias a signifié que, en l’espace d’une génération, toutes les images de la féminité avaient été englouties par les tissus.

Sharifi a pris conscience de cette faible représentativité lorsqu’elle – artiste visuelle de formation – a éprouvé des difficultés à illustrer un conte issu de son enfance. Elle souhaitait rendre hommage à sa grand-mère bien-aimée, la gardienne des histoires de sa famille, en utilisant des enregistrements vocaux capturés avant son décès. Mais à quoi pourrait ressembler une héroïne d’un conte populaire iranien ? L’esprit de l’artiste ne pouvait que régurgiter des références visuelles imparfaites, basées sur des formes d’enfance importées clandestinement d’Occident.

Elle a décidé d’inventer cette héroïne. Le résultat est une animation qui illustre le tiraillement entre le trait et l’effacement, alors que l’artiste tente de recomposer les fragments inaccessibles de sa propre identité. Zar-Afshun, l’héroïne de l’histoire, évolue constamment. Elle doit être formée encore et encore, jusqu’à ce qu’elle devienne un récipient pour toutes les figures effacées.

Projetée sur des couches de tissus, l’œuvre invite à expérimenter la nostalgie éprouvée par Sharifi pour sa défunte grand-mère. Avec une voix narrative unique, elle fait apparaître une présence drapée, flottante. Un spectre de douceur.

L’exposition reflète également la nature fragmentée des souvenirs, car Sharifi prend soin de ne pas glorifier le passé. L’artiste célèbre la résilience de sa grand-mère dans une société patriarcale et s’interroge sur son rôle dans la perpétuation de ses normes.

Où est-ce que le voyage de l’héroïne la conduit? La conclusion de la fable semble impertinente, tout comme il semble impertinent de se fixer sur une seule figure pour dépeindre Zar-Afshun. Dans cette découverte, on entrevoit la véritable héroïne de cette œuvre : l’itération. La force principale qui alimente des gestes lents et progressifs, comme narrer des contes sur plusieurs générations, lutter contre l’oppression ou construire une identité en exil.

Sineh-be-sineh est une expression farsi qui peut se traduire par « de coeur à coeur » ou « de poitrine à poitrine ». Elle renvoie à la tradition orale de transmission des histoires – avec, comme instruments, la voix et le cœur. Ces histoires perdurent grâce aux femmes iraniennes qui continuent à les interpréter et à les transmettre, malgré les forces qui tentent de contrôler leurs corps et d’effacer leur présence. »

Prachi Khandkar est commissaire, autrice et designer. Elle s’intéresse aux différents degrés de confort et de douleur que nous expérimentons dans nos interactions avec les autres et avec les technologies. Elle est commissaire de @the.enigma.of.objects, une exposition participative explorant les objets du quotidien et leur signification.